1. |
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Épigraphe pour un livre condamné
( Charles Baudelaire )
Lecteur paisible et bucolique,
Sobre et naïf homme de bien,
Jette ce livre saturnien,
Orgiaque et mélancolique.
Si tu n' as fait ta rhétorique
Chez Satan, le rusé doyen,
Jette! tu n' y comprendrais rien,
Ou tu me croirais hystérique.
Mais si, sans se laisser charmer,
Ton œil sait plonger dans les gouffres,
Lis - moi, pour apprendre à m' aimer;
Âme curieuse qui souffres
Et vas cherchant ton paradis,
Plains - moi! ... Sinon, je te maudais!
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2. |
02-Au lecteur
03:58
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Au lecteur ( Charles Baudelaire )
La sottise, l' erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos tachers.
Sur l' oreiller du mal c' est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté,
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C' est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l' Enfer nous descendons d' un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu' un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d' une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d' helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l' incendie,
N' ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C' est que notre âme, hélas! n' est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu' il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;
C' est l' Ennui! - l' œil chargé d' un pleur involontaire,
Il rêve d' échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère!
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3. |
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Spleen ( Quand le ciel... ) - - - ( Charles Baudelaire )
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l' esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l' horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l' Esperance, comme une chauve- souris,
S' en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D' une vaste prison imite les barreaux,
Et qu' un peuple muet d' infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrément.
Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l' Espoir,
Vaincu, pleure, et l' Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
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4. |
04-Les deux bonnes sœurs
02:15
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Les deux bonnes sœurs ( Charles Baudelaire )
La Débauche et la Mort sont deux aimables filles,
Prodigues de baisers et riches de santé,
Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles
Sous l' éternel labeur n' a jamais enfanté.
Au poète sinistre, ennemi des familles,
Favori de l' enfer, courtisan mal renté,
Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles
Un lit que le remords n' a jamais fréquenté.
Et la bière et l' alcôve en blasphèmes fécondes
Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes sœurs,
De terribles plaisirs et d' affreuses douceurs.
Quand veux - tu m' enterrer, Débauche aux bras immondes?
Ô mort, quand viendras - tu, sa rivale en attraits,
Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès?
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05-L'irréparable
05:08
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L' irréparable ( Charles Baudelaire )
Pouvons - nous étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s' agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille?
Pouvons - nous étouffer l' implacable Remords?
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,
Noierons - nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Dans quel philtre? - dans quel vin? - dans quelle tisane?
Dis - le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,
 cet esprit comblé d' angoisse
Et pareil au mourant qu' écrasent les blessés,
Que le sabot du cheval froisse,
Dis - le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,
 cet agonisant que le loup déja flaire
Et que surveille le corbeau,
 ce soldat brisé! s' il faut qu' il désespère
D' avoir sa croix et son tombeau;
Ce pauvre agonisant que déja le loup flaire!
Peut - on illuminer un ciel bourbeux et noir?
Peut - on déchirer des ténèbres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,
Sans astre, sans éclairs funèbres?
Peut - on illuminer un ciel bourbeux et noir?
L' Espérance qui brille aux carreaux de l' Auberge
Est soufflée, est morte à jamais!
Sans lune et sans rayons, trouver où l' on héberge
Les martyrs d' un chemin mauvais!
Le Diable a tout éteint aux carreaux de l' Auberge!
Adorable sorcière, aimes - tu les damnés?
Dis, connais - tu l' irrémissible?
Connais - tu le Remords, aux traits empoisonnés,
 qui notre cœur sert de cible?
Adorable sorcière, aimes - tu les damnés?
L' Irréparable ronge avec sa dent maudite
Notre âme, piteux monument,
Et souvent il attaque, ainsi que le termite,
Par la base le bâtiment.
L' Irréparable ronge avec sa dent maudite!
J' ai vu parfois, au fond d' un théâtre banal
Qu' enflammait l' orchestre sonore,
Une fée allumer dans un ciel infernal
Une miraculeuse aurore;
J' ai vu parfois au fond d' un théâtre banal
Un être, qui n' était que lumière, or et gaze,
Terrasser l' énorme Satan;
Mais mon cœur, que jamais ne visite l' extase,
Est un théâtre où l' on attend
Toujours, toujours en vain, l' Être aux ailes de gaze!
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6. |
06-Le vin de l'assassin
05:13
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Le vin de l' assassin ( Charles Baudelaire )
Ma femme est morte, je suis libre!
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.
Autant qu' un roi je suis heureux;
L' air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j' en devins amoureux!
L' horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s' assouvir
D' autant de vin qu' en peut tenir
Son tombeau; - ce n' est pas peu dire:
Je l' ai jetée au fond d' un puits,
Et j' ai même poussé sur elle
Tout les pavés de la margelle.
Je l' oublierai si je le puis!
Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier,
Comme au beau temps de notre ivresse,
J' implorai d' elle un rendez - vouz,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint! - folle créature!
Nous sommes tous plus ou moins fous!
Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée! et moi,
Je l' aimais trop! voilà pourquoi
Je lui dis: Sors de cette vie!
Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea - t - il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul?
Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l' été ni l' hiver,
N' a connu l' amour véritable,
Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d' alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d' ossements!
Me voilà libre et solitaire!
Je serai ce soir ivre mort;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,
Et je dormirai comme un chien!
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien
Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m' en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table!
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7. |
07-Une charogne
06:11
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Une charogne ( Charles Baudelaire )
Rappelez- vous l' objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d' été si doux:
Au détour d' un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l' air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d' une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d' exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu' ensemble elle avait joint;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s' épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l' herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D' où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s' élançait en petillant;
On eût dit que le corps, enflé d' un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l' eau courante et le vent,
Ou le grain qu' un vanneur d' un mouvement rhythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s' effaçaient et n' étaient plus qu' un rêve
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l' artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d' un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu' elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
Oui! Telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l' herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j' ai gardé la forme et l' essence divine
De mes amours décomposés!
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8. |
08-L'horloge
05:31
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L' horloge ( Charles Baudelaire )
Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt menace et nous dit: " Souviens - toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d' effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l' horizon
Ainsi qu' une sylphide au fond de la coulisse;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote: Souviens - toi! - Rapide, avec sa voix
D' insecte, Maintenant dit: Je suis Autrefois,
Et j' ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens - toi, prodigue! Esto memor!
( Mon gosier de métal parle toutes les langues. )
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu' il ne faut pas lâcher sans en extraire l' or!
Souviens - toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup! c' est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; souviens - toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l' heure où le divin Hasard,
Où l' auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même ( oh! la dernière auberge! ),
Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! il est trop tard! "
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9. |
09-Le cygne
06:00
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Le cygne ( Charles Baudelaire )
Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L' immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n' est plus ( la forme d' une ville
Change plus vite, hélas! que le cœur d' un mortel );
Je ne vois qu' en esprit tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l' eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric - à - brac confus.
Là s' étalait jadis une ménagerie;
Là je vis, un matin à l' heure où sous les cieux
Froids et clairs le Travail s' éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l' air silencieux,
Un cygne qui s' était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d' un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le cœur plein de son beau lac natal:
" Eau, quand donc pleuvras - tu? quand tonneras - tu, foudre? "
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel quelquefois, comme l' homme d' Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,
Comme s' il adressait des reproches à Dieu!
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Paris change! Mais rien dans ma mélancolie
N' a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m' opprime:
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d' un désir sans trêve! et puis à vous,
Andromaque, des bras d' un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d' un tombeau vide en extase courbée;
Veuve d' Hector, hélas! et femme d' Hélénus!
Je pense à la négresse, amaigrie et phthisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l' œil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard;
À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais! à ceux qui s' abreuvent de pleurs
Et tettent la Douleur comme une bonne louve!
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!
Ainsi dans la forêt où mon esprit s' exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus! ... à bien d' autres encor!
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10. |
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L' invitation au voyage ( Charles Baudelaire )
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D' aller là - bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
Des ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traître yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n' est qu' ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l' ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l' âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n' est qu' ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l' humeur est vagabonde;
C' est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu' ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les caneaux, la ville entière,
D' hyacinthe et d' or;
Le monde s' endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n' est qu' ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
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11. |
11-Le balcon
04:49
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Le balcon ( Charles Baudelaire )
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappeleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!
Les soirs illuminés par l' ardeur du charbon,
Et le soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m' était doux! Que ton cœur m' était bon!
Nous avons dit souvent d' impérissables choses
Les soirs illuminés par l' ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
Que l' espace est profond! Que le cœur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
La nuit s' épaississait ainsi qu' une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur! ô poison!
Et tes pieds s' endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s' épaississait ainsi qu' une cloison.
Je sais l' art d' évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu' en ton cher corps et qu' en ton cœur si doux?
Je sais l' art d' évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront - ils d' un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Aprés s' être lavés au fond des mers profondes?
Ô serments! ô parfums! ô baisers infinis!
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12. |
12-Abel et Caïn
06:21
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Abel et Caïn ( Charles Baudelaire )
Race d' Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Race d' Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin!
Race de Caïn, ton supplice
Aura - t - il jamais une fin?
Race d' Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien;
Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.
Race d' Abel, chauffre ton ventre
À ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal!
Race d' Abel, aime et pullule!
Ton or fait aussi des petits.
Race de Caïn, cœur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.
Race d' Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois!
Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.
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Ah! race d' Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!
Race de Caïn, ta besogne
N' est pas faite suffisamment;
Race d' Abel, voici ta honte:
Le fer est vaincu par l' épieu!
Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu!
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